Le numérique, premier secteur d’émissions de GES en 2050 ?
publié par
Adrien Burdy
le
Tuesday
20
February
2024
Le numérique est en pleine croissance
C’est une évidence : le secteur du numérique est en pleine croissance. Les usages se développent à toute vitesse et le nombre d’équipements avec : “en 2019, l’univers numérique était constitué de 34 milliards d’équipements pour 4,1 milliards d’utilisateurs, soit 8 équipements par utilisateur” et 84 milliards d’équipements sont attendus dans le monde en 2030. [1]
Pourtant, le secteur du numérique c’est aussi près de 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales, ce qui est loin d’être négligeable (l’aviation représente 2% des émissions de GES).
Même si il participe grandement au développement de la connaissance et de technologies aidant à lutter contre le dérèglement climatique, il n’existe pas d’étude à l’échelle macro permettant de le prouver. Dans tous les cas, il est important de se préoccuper de son empreinte environnementale.
Et pour cause, bien que l’efficacité énergétique des équipements numériques soit en constante amélioration (elle double tous les 2,6 ans), la consommation d’électricité a triplé en 15 ans et les émissions de GES avec, malgré une réduction de l’intensité carbone de l’électricité via les énergies renouvelables.
C’est ce qu’on appelle un effet rebond. L’efficacité technologique génère de nouveaux usages ou accroît les usages existants et ne permet pas in fine de réduire son empreinte carbone.
Regardons de plus près l’empreinte carbone du numérique.
Les ordres de grandeur à connaître sur le numérique
L’empreinte carbone moyenne d’un français est d’environ 10 tonnes. Le numérique représentait 2,5% de cette empreinte en 2020 (0,25 tCO2eq). C’est également 10% de la consommation électrique française en 2020 d’après l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse).
Il y a 2 choses importantes à retenir que cette image résume très bien.Tout d’abord 79% de l’empreinte carbone du numérique est due à la fabrication et à l’utilisation des équipement grand public. Les centre de données (datacenters) par exemple sont loin derrière avec 16% de l’impact.
La deuxième chose est que, contrairement à ce qui est souligné dans le débat public, près de 80% de l’empreinte carbone d’un smartphone est due à la fabrication et très peu donc à son utilisation (mail, streaming et réseaux sociaux compris).
Parmi les équipements numériques, les télévisions ont la plus grosse part de l’empreinte carbone suivit des ordinateurs portables et des smartphones.
Quand on regarde une autre étude qui étudie les impacts sur l’environnement avec plusieurs critères et en fonction des trois secteurs du numérique (appareils des utilisateurs, réseaux, centres informatiques), on remarque que la consommation d’eau douce ou de ressources provient aussi majoritairement des équipements utilisateurs (respectivement 83 et 75%). [1]
Et si l’on veut connaître les ordres de grandeur pour agir efficacement à notre échelle, il est intéressant de regarder en détail la répartition de l’empreinte entre fabrication et utilisation.
On se rend compte que sur tout le cycle de vie, la fabrication de nos équipements joue le plus grand rôle. Ainsi, si il fallait choisir, mieux vaut mettre son temps, son énergie ou son argent pour prolonger la durée de vie de ses appareils et acheter des appareils plus vertueux que de supprimer ses mails ou d’arrêter d’envoyer des GIFs rigolos à ses amis. Pour avoir des usages plus sobres, il vaut mieux réduire son visionnage de vidéos en ligne car cela représente 60% des flux de données dans le monde.
Et d’ailleurs, avec cette numérisation croissante de la société, qu’en sera-t-il à l’avenir ?
L’empreinte carbone du numérique en 2050
Comme vous avez pu le voir, le numérique a encore une place raisonnable dans notre empreinte carbone donc il vaut mieux réduire sa consommation de viande ou arrêter d’utiliser sa voiture thermique que de supprimer ces mails ou de regarder moins de streaming. Bien sûr, ces actions sont utiles puisqu’il faut agir partout. Elles le sont d’autant plus qu’on ne peut pas se permettre de continuer de renouveler nos smartphones tous les 2 ans et demi au risque de voir l’empreinte carbone du numérique exploser.
En effet, elle pourrait tripler d’ici 2050 selon le scénario tendanciel de l’étude de l’Arcep et de l’ADEME [2]. Cette étude s’inspire des quatre scénarios de transition de l’ADEME que vous connaissez bien. Ils sont déclinés pour le secteur du numérique en particulier pour projeter l’empreinte potentielle du numérique en 2050.
Voilà ce que ça donne pour Génération Frugale par exemple :
“Les loisirs numériques sont limités à un usage sobre […] mais l’ensemble de la société a accès à des services numériques prioritaires considérés utiles, comme la santé, l’éducation, la mobilité ou la culture et dispose d’un réseau fixe fibre.”
Et pour Technologies Vertes :
“La consommation de données est importante et l’intelligence artificielle déployée dans tous les domaines. Bien qu’une recherche de qualité et de performance limite le suréquipement, le nombre d’objets connectés progresse fortement […], tout comme le nombre d’équipements numériques dans son ensemble”
Résultat, l’empreinte change du tout au tout selon les scénarios.
Le numérique pourrait ainsi devenir le premier poste d’émissions nationales en 2050 : Si l’on considère un budget de 2 tonnes de CO2eq par habitant, l’empreinte carbone du numérique représenterait 58% de l’empreinte carbone française dans le S4 (contre 35% dans le S3).
Ainsi, le numérique est amené à occuper une grande part dans nos vies et à jouer un rôle notoire dans la transition écologique et sociale. Il faut veiller à l’empreinte carbone du numérique (et aux autres critères environnementaux pour ne pas générer d’effets rebonds trop importants !) à l’échelle collective comme à l’échelle individuelle.
Vision systémique et leviers d’actions
Tout d’abord, à notre échelle, c’est donc sur la fabrication de nos équipements que l’on peut agir beaucoup plus efficacement : dire adieu à la nouvelle télé connectée taille 98 pouces et prendre soin de ses appareils et les réparer pour prolonger la durée de vie des équipements.
Il semble évident que l’achat des derniers modèles de télévision dont la taille d’écran est 2 fois supérieur à celle d’une télévision 40-49 pouces et dont l’impact est probablement proche du double de celle-ci est incompatible avec une empreinte carbone individuelle de 2 tonnes pour atteindre la neutralité carbone. Il faut donc avant tout reconsidérer nos besoins et opter pour une sobriété de nos achats d’appareils.
Il est ensuite possible de prolonger la durée de vie de ses équipements afin de répartir les impacts environnementaux dus à la fabrication sur de nombreuses années (on renouvelle nos smartphones tous les 2 ans environ).
Si on regarde du côté des usages, mieux vaut éviter de regarder des vidéos en 4K que de supprimer ses mails mais cela reste bien moins impactant que l’achat d’équipements. Le simulateur de l’Ademe vous permet de simuler votre empreinte numérique en fonction de vos usages.
A l’échelle collective, les leviers d’actions sont multiples.
Pour prolonger la durée de vie des appareils, il faut lutter contre l’obsolescence logicielle. Le développement des services numériques sans considération de sobriété rendent rapidement obsolètes nos terminaux. En effet, les applications et logiciels, en devenant trop volumineuses et trop gourmandes en ressources informatiques pour fonctionner, saturent la mémoire des téléphones. Le fait de rendre une application incompatible avec les anciens modèles de téléphones ou systèmes d’exploitation accélère également le renouvellement des appareils.
Pour lutter contre la surproduction de terminaux, il est aussi possible d’encourager une économie de fonctionnalité. L’entreprise loue ses produits et prend en charge les réparations. Elle a ainsi tout intérêt à améliorer la durabilité de ses produits pour réduire les coûts de réparations à sa charge.
Enfin, adopter une écoconception des matériaux pour qu’ils soient fabriqués avec des matériaux à l’empreinte sociale et environnementale réduite est aussi une solution pour rendre le secteur du numérique soutenable et plus juste.
La question est plus difficile lorsqu’il s’agit d’évaluer la balance entre les impacts positifs et négatifs d’une technologie censée permettre la réduction de l’empreinte environnemental d’une activité.
Un exemple serait l’usage de l’intelligence artificielle et de drones pour optimiser l’épandage d’engrais ou de pesticides dans les cultures.
Ces questions nécessitent une vision systémique qui prennent en compte un maximum de critères environnementaux et sociaux, pour évaluer sur le long terme les bienfaits ou les méfaits de la mise en place de telles technologies. Il est important d’avoir un questionnement sur l’innovation technologique dont le développement peut servir à maintenir un modèle de croissance incompatible avec les limites finies de notre Terre.
L’étude conjointe de l’ARCEP et de l’Ademe conclue :
“Pour atteindre l’objectif des accords de Paris en 2050, le numérique doit prendre la part qui lui incombe : un effort collectif impliquant toutes les parties prenantes est donc nécessaire”
En effet, il est difficile d’envisager une transition écologique et sociale du numérique sans l’utilisation d’appareils et de services numériques, notamment pour le partage de la connaissances et la recherche scientifique qui permettent de mieux comprendre les impacts environnementaux des activités humaines. Néanmoins, compte tenu de la place que le numérique va occuper, peu importe le scénario de transition choisi, il est nécessaire d’appliquer des mesures de sobriété et d’améliorer l’efficience des équipements pour réduire la demande énergétique du secteur et les impacts environnementaux et sociaux (émissions de GES, épuisement des ressources abiotiques et tensions sur les ressources en eau, toxicité et dégâts sur la biodiversité lors de l’extraction des matières premières, répartition inégales de l’accès au numérique dans le monde).
Les entreprises et les acteurs du numérique ont un rôle à jouer notamment sur la consommation énergétique (notamment d’électricité) des réseaux et des centres de données (les services numériques pendant la phase d’utilisation représentent 9,3 % de la consommation européenne d’électricité). Les scénarios mettant en avant la sobriété ont l’avantage d’éviter la poursuite d’une demande exponentielle en produits numérique dont l’impact croissant est un danger pour l’atteinte des objectifs climatiques.