Pourquoi on parle de frontières planétaires et non de limites planétaires ?
publié par
Adrien Burdy
le
Monday
19
February
2024
Le terme initial est en anglais. C’est le terme “planetary boundaries” qui est utilisé dans les papiers scientifiques.
Comment le traduire ?
Voici la définition d’une “planetary boundary” :
“A planetary boundary as originally defined is not equivalent to a global threshold or tippingpoint. As Fig. 1 shows, even when a global- or continental/ocean basin–level threshold in anEarth-systemprocess is likely to exist, the proposed planetary boundary is not placedat the position of the biophysical threshold but rather upstream of it—i.e., well before reachingthe threshold. This buffer between the boundary (the end of the safe operating space, the greenzone in Fig. 1) and the threshold not only accounts for
(1) uncertainty in the precise position of the threshold with respect to the control variable
but also
(2) allows society time to react to early warning signs that it may be approaching a threshold and consequent abrupt or risky change.” [1]
De la lecture attentive de cette définition on peut tirer 4 arguments :
1. Le mot
Le terme de “limit” est absent de la définition alors qu’il aurait été très simple pour les scientifiques de l’utiliser.
2. La localisation de la “boundary”
S’il fallait utiliser le terme de limite il faudrait alors la définir à l’endroit même du seuil (threshold) ou du point de bascule (”tipping point”).
Cela n’est pas le cas : la “planetary boundary” est placée bien avant le point de bascule (”well before reaching the threshold”).
3. et 4. Les raisons de la localisation
La position, en aval de la “planetary boundary”, c’est pour tenir compte :
-de l’incertitude de la position précise du seuil
-donner le temps à la société de réagir
Cela fait 4 arguments dont chacun suffirait pour traduire “planetary boundary” en “frontière planétaire”, la convergence des 4 donne une assurance importante dans le choix de la traduction.
On peut reformuler en se posant les 4 questions suivantes :
Pourquoi traduire par "limite" le mot anglais “boundary” alors que “limit” existe ?
Quel sens cela a-t-il de traduire “boundary” par “limite”, pour faire signifier que la “boundary” ne doit pas être franchie, alors que la “boundary” n’est pas placée sur le point de bascule mais bien avant ? Quand on dépasse la limite il se passe quelque chose de grave après, non ?
Pourquoi traduire “boundary” par “limite” (pour signifier que la “boundary” ne doit pas être franchie) alors que le positionnement de ladite “boundary” est imprécis ? Une limite c’est un lieu clairement délimité, non ?
Pourquoi traduire par “limite” un concept utilisé pour donner le temps à la société de réagir ?
Pour rester fidèle à l’esprit des concepteurs des “planetary boundaries”, la traduction française la plus pertinente semble bien être “frontières planétaires”.
Pour terminer 2 arguments tirés de la littérature publiée en français.
Aurélien Boutaud et Natacha Gondran ont publié un livre sur le sujet. [2] Ils expliquent qu’il est préférable de parler de frontières planétaires :
“Il ressort de la lecture qu’il paraît plus judicieux et prudent de définir des frontières planétaires (soit la valeur basse de l’incertitude, qui équivaut à un risque accru de perturbation du processus de régulation) que des limites (point de basculement ou tipping point) car les points de rupture sont imprévisibles [3], voire pratiquement inexistants dans la plupart des cas [4] mais également parce que les processus de régulation interagissent et la perturbation de l’un affecte la régulation et/ou la résilience des autres (cf infographie ci-dessous).”
Ces 2 auteurs préfèrent parler de frontières plutôt que de limite alors même qu’ils reprennent le schéma du papier des “planetary boundaries” de 2015 où il font disparaître le terme initial de “threshold”/seuil pour y faire figurer celui de limite, absent de la publication originelle.
A fortiori donc il est largement préférable de parler de frontière planétaire car la notion même de limite quand on traite d’un sujet aussi complexe que le système Terre est inopérante.
Deuxième exemple dans la littérature grise. Il est de moindre poids car moins focalisé sur le sujet mais il reste tout de même significatif.
Pablo Servigne et Raphaël Stevens ont publié “Comment tout peut s’effondrer” [5] la même année que la mise-à-jour du cadre analytique des frontières planétaires.
Ils parlent fort à propos de la différence entre les “limites infranchissables” (métaux, fossiles…) et les “frontières franchissables” que sont les frontières planétaires.
Que ce distingo soit fait aussi tôt et avant l’engouement du grand public pour ce cadre analytique et que le vocable “limites planétaires” se répande continue de suggérer qu’il est largement préférable de parler de frontières planétaires et non de limites planétaires.
Au-delà de ces précisions sémantiques, le principal est le combat pour garder une planète habitable.
Vous pouvez participer à la Fresque des frontières planétaires pour mieux comprendre comment agir concrètement et garder une planète vivable pour tous.
Sources
- Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Steffen et al, Science, 2015
- L'empreinte écologique, Boutaud & Gondran, 2020
- Ecosystems on the Brink, Zimmer, 2009
- Existe-t-il un point de non-retour dans les écosystèmes ?, CNRS, 2020
- Comment tout peut s'effondrer, Pablo Servigne & Raphaël Stevens, 2015